1 : L’horizon est gris.
2 : Bouché.
1 : Ambiance délétère et parfum de dernière séance, l’air est saturé de toxines.
2 : Ça ne rigole pas, mais alors pas du tout.
1 : Un corps git sur le sol.
3 : Mes poumons vont imploser, j’ai le souffle court, et les yeux qui veulent sortir de leurs orbites.
4 : Je n’ai rien d’autre à faire que regarder en l’air, au loin, le plus loin possible, et je me dis : le paysage est figé, il agonise.
1 : Je pense, je dis, je ressens que nous partageons, le ciel et moi, un moment d’agonie.
2 : De la lumière, des traits de lumières, ou plutôt quelques minces faisceaux, quelques pauvres rayons de soleil essayent timidement de percer la couche épaisse des nuages ; mais ça ne passe pas, pas vraiment, ça marche un peu mais pas franchement, c’est avorté, c’est rachitique, c’est, comme souvent, bancal, timide et provisoire ; c’est un pas supplémentaire vers l’épuisement généralisé ; les nuages font obstacle, les nuages sont trop chargés, ils ne laissent pas au regard le loisir d’observer le lointain comme il le faudrait.
3 : Enculés de nuages.
1 : Enculé de ciel.
3 : Enculé de regard.
4 : Et le regard ment,
il dit qu’il voit quelque chose,
il ment parce qu’il voudrait voir quelque chose,
il ment parce qu’il espère,
il ment par dépit,
il s’illusionne,
il voudrait déceler une ouverture,
une perspective,
alors que non,
il n’y a rien.
1 : Rien du tout.
3 : Espoir détricoté, décomposé au gré d’un quotidien catastrophique.
2 : La catastrophe, c’est maintenant, pas demain, maintenant.
4 : L’horizon est bouché. Je me répète ça. Je me répète ça depuis des mois, depuis des années, depuis toujours peut-être.
3 : J’ai mal au cul, très mal au cul, très mal partout.
1 : Il est couché sur le dos, il ne peut plus bouger.
4 : Il a mal.
2 : J’ai mal.
3 : Très mal.
4 : Il radote.
3 : Cette tendance à toujours répéter les mêmes choses, se dit-il, en sentant une matière gluante, rouge et visqueuse se répandre hors de lui, je devrais l’annihiler, y réfléchir, trouver une stratégie pour la faire disparaître et l’annihiler. Je devrais agir. Mais je suis épuisé. Cette tendance à me plaindre aussi, certainement, il faudrait que je m’en défasse. Je devrais, je devrais faire plein de choses, plein de choses positives, me prendre en main, comme on dit, ne pas me laisser abattre, ne pas baisser les bras, m’écouter, il faudrait, oui, que je m’écoute un peu plus, mais rien à faire, je refuse de me plier. Il est trop tard.
1 : C’est exactement ça.
Il entend :
2 : Tu es responsable de ta propre vie,
Tu es ce que tu fais de toi,
Célèbre chaque victoire,
Tu n’es pas tout seul,
Tu as tout en toi pour réussir,
La vie est magique,
Tu es fabuleux,
Aime-toi, toi-même,
Profite à fond de chaque instant,
Fais ce que tu aimes,
4 : Tu es aux commandes,
2 : Il faut te prendre en main, être fier, te relever si tu tombes, toujours te relever, et croire en toi.
1 : Ton Moi est un guichet à entretenir.
4 : Il faut avoir un projet et il faut communiquer sur ce projet. Il faut communiquer, communiquer mieux, communiquer toujours plus et toujours mieux. Ta vie est un entretien d’embauche permanent.
1 : Tu dois te motiver, gérer ton temps au mieux, cesser de râler.
2 : Tu es l’employeur et l’employé de ta vie, il faut tenir, y aller, foncer, ne pas flancher.
3 : Tu es en représentation.
2 : Quand on monte sur le ring, c’est pour se battre.
3 : On te regarde.
4 : Tiens-toi bien. Ne montre aucune faiblesse, garde la tête haute, ne flanche pas, ne pleure pas, surtout ne pleure pas, même en privé, tu es beau, tu es intelligent, tout le monde est beau, tout le monde a des capacités qui lui sont propres et qui valent bien celle des autres, il suffit de les cultiver, bordel, il suffit de les cultiver, arrête de chialer, trou du cul, et sois fier de ta foutue vie, elle n’est pas si merdique que ça en a l’air.
2 : Ne te plains pas, c’est pathétique.
1 : Ne crie pas, ne fait rien qui soit inconvenant, ou seulement si c’est dans le cadre d’une performance artistique, ou si les circonstances sont appropriées.
2 : Trouve ton identité, trouve qui tu es, putain, et ébloui nous, ébloui ceux qui t’entourent, change le monde en te changeant, sois celui par qui la lumière arrive toi aussi, sois l’entrepreneur de ton existence et de ton bonheur, bordel de merde, et va te faire foutre avec ta dépression.
1 : Laisse toi aller à la spontanéité que ta personnalité exige.
2 : Ta vie privée et ta vie publique ou professionnelle ne sont que les deux faces d’une même pièce. Mets toi devant un miroir, connard, et regarde la face A et regarde la face B, et trouve l’harmonie, le point de ralliement, le cercle vertueux qui te permet de glisser de l’un à l’autre.
1 : Si tu ne t’aides pas toi-même, personne ne le fera.
2 : Si tu ne t’ouvres pas au monde tel qu’il est, tu resteras seul.
3 : Il hésite : je me plie ou je me plie pas à l’injonction ?
2 : Il se plie.
3 : Je me plie.
1 : Dans un mouvement aussi spontané que possible, il se plie à l’injonction.
2 : Il se plie.
1 : Il vomit.
2 : Je vomis.
4 : Et il en met partout.